Au-delà des dunes
Ariane Gélinas
L’agence de voyages « Tout-en-un » proposait des forfaits de vacances tout inclus pour plus d’un millier de destinations à des prix raisonnables.
Ce vendredi après le travail, tandis que je m’apprêtais à profiter de mes deux semaines de vacances annuelles, j’avais fait un arrêt à l’agence, où l’un de leurs préposés m’avait conseillé sur les multiples possibilités de séjours. En face de nous, les rayonnages, surchargés de valises de formats divers, grimpaient jusqu’au plafond, chacun des bagages soigneusement étiqueté du nom d’une ville, d’une région ou encore d’un pays. J’avais hésité un bon moment entre l’Égypte et le Niger, puis j’avais opté pour cette dernière destination, moins touristique. Et puis, comme j’avais bien apprécié mes dernières vacances au Mali, une exploration plus poussée des terres arides du Sahara, plus spécialement du Ténéré, le « désert des déserts », acheva de me convaincre. Le commis s’enquit ensuite de la durée de mon escapade, de même que du montant que je souhaitais débourser pour la confection de l’itinéraire. Il me remercia après m’avoir demandé de remplir un long formulaire sur mes préférences, en m’assurant que je recevrais mon forfait le lendemain, avec la première livraison du courrier. Auparavant, il m’avait montré le contenu de plusieurs valises à destination saharienne, afin que je détermine le genre d’articles d’appoints que je souhaitais annexer à mon ensemble. Je quittai l’agence pleine d’entrain, quoique un peu éreintée par la longueur des procédures, avant de regagner mon compartiment, dans lequel je m’allongeai sur le lit, qui occupait une bonne partie de l’espace.
J’avais du mal à concevoir un monde dans lequel les déplacements sur de longues distances étaient à la portée de la plupart des bourses, où les employés de bureaux pouvaient se permettre des escapades non-virtuelles, en prenant place dans ces transporteurs aériens qui, depuis longtemps déjà, n’ouvraient plus leurs portes qu’aux milliardaires. En tant que commis de Classe B dans un centre documentaire, mon univers ne se restreignait qu’à cette simple chambrette, ainsi qu’aux accès souterrains de la ville, qui reliaient les tours entre elles. Heureusement, après quelques années de services, plusieurs privilèges étaient alloués aux employés, dont l’installation gratuite d’un virtualisateur dans leurs cabines. Demain, je ferais à nouveau usage de mon appareil personnel, pour une durée de près de deux semaines.
Ce soir là, je m’endormis avec difficulté, fébrile à la perspective de mon départ imminent. Je rêvai que mon lit s’était transformé en désert et que j’arpentais les dunes ensablées du Sahara, le visage caressé par le souffle impitoyable du vent.
Au matin, le préposé des postes me livra mon forfait tel que convenu, déposant devant ma porte une valise de taille moyenne marquée du sceau de « Voyages Tout-en-un ». Je tirai le colis pesant jusqu’au centre de la pièce, avant d’ouvrir les fermoirs avec empressement. Aux premières lueurs de l’aube, j’avais pris soin de relever mon lit contre le mur pour faire davantage de place au virtualisateur, que j’avais installé sur mon fauteuil. Dans la valise, je trouvai les accessoires d’appoints que j’avais commandés, soit un foulard pour me protéger des bourrasques du désert, des photos-souvenirs, la réplique d’un scorpion jaune, une plante séchée locale, quelques roches, plusieurs kilos de sable et bien entendu, le microdisque de voyage. J’étalai les objets devant le fauteuil d’une manière qui me parut invitante, déversai le sable sur le sol de ma chambre, juste avant d’enlever mes souliers. De toute façon, ces dispositions importaient peu, puisque les objets réels ne prenaient aucunement part à la simulation. Néanmoins, ces accessoires étaient considérés comme des souvenirs de voyages de premier choix, certifiés par l’agence comme issus du milieu d’origine.
Avant de mettre en marche le virtualisateur, je relus en diagonale la feuille des consignes et de mises en garde fournie par la compagnie, dont j’avais déjà pris connaissance plusieurs fois par le passé.
Éviter autant que possible de sortir du périmètre délimité par votre itinéraire. Dans le cas où vous dépasseriez la frontière par inadvertance, revenez immédiatement sur vos pas. Le décor réapparaîtra en moins d’une minute. Nous ne sommes pas responsables du voyageur qui s’aventure hors-circuit.
Je déposai la notice sur la table de chevet et m’installai confortablement dans le fauteuil. Je nouai d’abord à mes poignets les bracelets tactiles, dans lesquels s’enfonçaient deux tubes à perfusion, qui veilleraient à me nourrir pendant le voyage. Ensuite, j’attachai le lourd corset à ma taille, sur lequel un écran indiquait plusieurs séries de chiffres. Je fis de même avec mes cuisses, que je comprimai dans des jambières, et avec le collier noir que je fixai à mon cou, le bijou orné de fines pointes argentées. Puis, après avoir entouré mon visage du foulard, je déposai sur le haut de ma tête la visière, fixée à un bandeau de la circonférence de mon crâne. Deux fines tiges s’enfoncèrent dans les cavités percées à cet effet derrière mes oreilles.
Les pieds enfouis dans le sable étalé en bas du fauteuil, je chantonnai en insérant le microdisque dans le lecteur frontal de la visière, l’esprit léger.